Chère Famille,
Aujourd’hui je vous écris heureuse, heureuse car pour moi la
guerre est terminée. Je n’ai pas à me plaindre contrairement à d’autres car je
suis tombée amoureuse…
Certes cela n’était pas très gai car les conditions dans
lesquelles nous vivons sont difficiles, mais il était là pour moi, tous les
jours il me donnait sa ration pour que je ne meurs pas de faim. Pendant de
longs moments j’ai eu peur, peur d’être seule… Même quand ils faisaient l’appel,
s’il n’était pas là je mourrais de peur à l’idée de savoir que je n’allais
peut-être pas entendre mon nom à cause de mes oreilles glacées par le vent d’hiver.
Durant toute cette longue période il a toujours été là pour moi et c’est grâce
à lui si je suis encore vivante aujourd’hui.
Papa, Maman ne m’en voulez pas, j’aurais
aimé me marier avec lui mais le destin n’en fait que je ne pourrais jamais.
Papa,
Maman pardonnez-moi, je m’en veux de ne pas vous avoir suivis dans ce magnifique
continent où la crainte n’est plus que poussière, tout cela pour un mari
déclaré mort à la guerre.
Papa, Maman ne m’en voulez pas car cet homme se nomme
Aaron Deitchler.
Papa, Maman
pardonnez-moi car il est dirigeant du camp et fait partie de la lignée
du Führer…
Aujourd’hui je vous écris heureuse, heureuse car pour moi la guerre
est terminée, terminée car ce soir, à la tombée de la nuit je serais exécuté.
Aaron s’est absenté et ils en ont profité en me disant que je n’étais plus d’aucune
utilité. Je l’ai aimé jusqu’au bout… De sa langue de serpent jusqu’à son plus
bel atout. Je l’ai aimé jusqu’au bout des nuits passées dans ses bras, jusqu'à cette
dernière nuit de froid.
Papa, Maman je vous aime, donnez tout mon amour au petit
frère, dites-lui simplement que je le surveille de haut à présent…
Agnès Kelior
Le 15 Janvier 1945